16 Jours d’Activisme – Les violences basées sur le genre en Afghanistan

Déc 2020

Maude Girard, Assistante de communication et réseaux sociaux, Action pour le développement (AfD) 10 décembre 2020

Pour sa nouvelle campagne internationale « 16 jours d’activisme », contre les violences basées sur le genre, les Nations Unies ont appelé une nouvelle fois à « Orangez le monde ». Du 25 novembre au 10 décembre, l’enjeu était de combler les manques en matière de financement ou encore recueillir les données nécessaires pour adapter et améliorer les services d’aide délivrés aux femmes et aux filles. Grâce au slogan « Financez, répondez, prévenez, collecter », de nombreuses thématiques ont été abordées tout au long de cette campagne par l’ensemble des acteurs de l’humanitaire et du développement.  

A l’occasion de la clôture de cette campagne, Action for Development s’interroge : que savons-nous des violences basées sur le genre en Afghanistan ?

© UN Women

Le contexte particulier des 16 jours d’activisme 2020

Cette année, la campagne « 16 jours d’activisme » avait un écho tout particulier dans un contexte de pandémie mondiale mais aussi alors que l’Afghanistan poursuit ses négociations pour la paix entamées en septembre, après vingt ans de conflit. Un rendez-vous militant d’autant plus symbolique qu’octobre 2020 marquait également le vingtième anniversaire de l’adoption de la résolution 1325 par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette résolution consacrait en effet, pour la première fois, le rôle essentiel des femmes dans l’instauration et le maintien de la paix. Par ailleurs, les 16 jours d’activisme s’inscrivent dans la continuité des Objectifs de Développement Durable de l’ONU (ODD) et de son « agenda 2030 » dont l’Afghanistan approuvait les principes en 2017. Cet agenda fixe 17 objectifs de développement durable pour la planète dont l’égalité entre les sexes fait partie. Au lancement des 16 jours d’activisme Amnesty International rappelait pourtant :

« Après avoir passé deux décennies à travailler d’arrache-pied afin de conquérir les droits les plus fondamentaux, les Afghanes se trouvent désormais face à la possibilité réelle que ces progrès soient bradés lors des négociations. Les droits des femmes ne doivent pas régresser dans le cadre du processus de paix – les droits fondamentaux des Afghan·e·s, en particulier des femmes et des filles, doivent être au cœur de tout éventuel accord », a déclaré Samira Hamidi, chargée de campagne sur l’Afghanistan à Amnesty International.

Quelles violences de genre en Afghanistan ?

Pour sa campagne « 16 jours d’activisme », UN Women a mis à disposition un lexique complet des notions clés pour comprendre les différents types de violences de genre telles que : les violences faites aux femmes et aux filles, les violences domestiques, le féminicide, les violences sexuelles, la traite des êtres humains, les mutilations sexuelles ou encore le mariage d’enfants. A la lumière de ces distinctions, qu’en est-il des violences de genre en Afghanistan ? Et comment sont-elles appréhendées ?

« La plupart des manifestations de violence sont sous-signalées dans le contexte d’une société patriarcale et conservatrice où la violence domestique n’est pas toujours perçue comme un crime et est tolérée par les autorités qui attribuent les sévices à la prétendue désobéissance d’une femme à son mari. » Report of the Special Rapporteur on violence against women, its causes and consequences, Rashida Manjoo.

Si les données sont donc parfois difficiles à récolter et à analyser, certains chiffres délivrés par les organisations internationales, ONGs de terrain et les gouvernements permettent d’avoir un aperçu des problématiques actuelles.

© UN Women

Dans ce même rapport, datant de 2014, on estimait que jusqu’à 87,2% des femmes afghanes avaient subi au moins une forme de violence physique, sexuelle ou psychologique ou de mariage forcé. Par ailleurs, plus de 60% des femmes expérimentaient de multiples formes de violence. Au total, 4 505 cas de violence à l’égard des femmes avaient été enregistrés sur la base de données conjointes du Ministère des affaires féminines, du Ministère de l’intérieur et du Bureau du procureur général de mars 2012 à mars 2013 dans 32 provinces.

Le rapport montre également qu’au cours du premier semestre de 2013, la Commission afghane indépendante des droits de l’homme enregistrait 4 154 cas de violence contre les femmes, dont 1 249 cas de violence physique, 976 cas de violence psychologique, 862 cas de violence économique, 262 cas de violence sexuelle et 805 cas d’autres types de violence. Rappelant que dans le contexte du mariage, le viol demeure rarement reconnu ou signalé car les femmes n’ont pas la liberté de décider d’avoir ou non des relations sexuelles avec leur mari.

De son côté, Oxfam a récemment mis en évidence la responsabilité de la police dans certaines de ces violences. D’après l’organisation, « en Afghanistan, 87% des femmes ont subi une forme de violence, et la Commission indépendante afghane des droits de l’homme rapporte que près de 15% des crimes d’honneur et des agressions sexuelles commis contre des femmes au cours des deux dernières années l’ont été par la police ».

Une crise sanitaire qui déstabilise l’accès à l’aide 

L’année 2020, synonyme d’une pandémie mondiale qui n’épargne aucun pays depuis près d’un an, a partout exacerbé les disparités et inégalités sociales, économiques, psychologiques et de genre. Mais la crise du COVID 19 a également fait émerger de nouvelles formes de problématiques.

Avant la pandémie, 87% des femmes afghanes avaient donc été exposées à une forme de violence durant l’année écoulée. Un rapport d’Oxfam a par la suite démontré que 97% des femmes interrogées avaient expérimenté une augmentation de la violence basée sur le genre depuis le début de l’épidémie. Ce qui démontre que le confinement, les restrictions de mouvement, l’augmentation du chômage sont bien des facteurs aggravant de ces violences domestiques.

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Dans la même lignée, en avril 2020, le journal britannique The Guardian, interpelait à son tour sur la résurgence de ces violences domestiques à l’heure du confinement en Afghanistan. Dans cet article Marzia Akbari, une psychologue de 25 ans de la ville de Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan, déclarait : « De nombreuses femmes à Herat peuvent survivre au coronavirus mais ne survivront pas au confinement. » La commune enregistre l’un des taux les plus élevés de violences domestiques et de suicides de femmes. Si les Nations Unies estiment que plus de 50% des femmes afghanes seraient victimes de violences domestiques au cours de leur vie, la praticienne estimait qu’à Herat, presque toutes les femmes étaient battues ou violentées dans leur propre maison.

Elle rappelait également que dans le contexte de crise du COVID 19, beaucoup d’infrastructures sociales avaient été mobilisées pour raisons sanitaires, et qu’elle « peut à peine rentrer en contact avec 25 femmes » sur ses 50 patientes habituelles. Des permutations qui perturbent l’accès aux centres de soutien et augmentent le danger pour ces victimes de violence.

« Le bâtiment que nous utilisions pour fournir un soutien en santé mentale a été transformé en centre d’isolement de patients atteints de coronavirus il y a environ un mois. Nous avons essayé de déménager dans un autre endroit, mais la seule raison pour laquelle les femmes ont pu nous joindre auparavant était parce que le centre de conseil était basé à l’hôpital local. Beaucoup de leurs familles ne savaient pas que ces femmes cherchaient des conseils, elles pensaient qu’elles se présentaient à un rendez-vous médical.  »

Le témoignage de Waheeda Payenda, cheffe de l’Unité d’intervention familiale (FRU) de la FRU dans la province de Parwan, recueilli par UNFPA, révèle par ailleurs que bien souvent « parce que les femmes ne savent pas qu’elles ont le droit de se plaindre de leurs agresseurs et de demander justice, elles restent dans la même situation. » Dans son témoignage la cheffe du FRU, corrobore l’importance de l’accès au soutien et services d’aide dans la prise en charge de ces violences domestiques.

Féminicides et violences sexuelles

L’année dernière l’assassinat de l’ex-journaliste et féministe Mina Mangal avait également suscité l’indignation. La députée Shagufa Noorzai avait alors tenu à rappeler les derniers féminicides en Afghanistan : « Farkhunda a été brûlée vive, Baby Mahsa a été kidnappée, violée et tuée, Bibi Ayesha a eu son nez coupé, des femmes sont lapidées et aujourd’hui Mina Mangal a été atteinte de neuf coups de feu ». D’après la fondation Thomson Reuters, l’Afghanistan serait le deuxième pays au monde où il est le plus dangereux d’être une femme.

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De plus selon une enquête officielle afghane citée par l’ONUDC, 243 cas de crimes d’honneur ont été recensés entre avril 2011 et août 2013.

En début d’année, Human Right Watch signalait également les échecs des autorités afghanes en matière d’enquête sur des agressions sexuelles présumées à l’image des allégations de 20 joueuses de football de l’équipe afghane qui visaient l’ancien président de la Fédération Afghane de football Keramuddin Karim, et mentionnaient des agressions sexuelles répétées remontant à 2016. Suite à des déclarations dans les médias, le gouvernement afghan avait ouvert une enquête.

Le 8 juin 2019, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), l’instance dirigeante mondiale du football, réagissait et prononçait une interdiction à vie pour l’ancien président. Le lendemain, le procureur général afghan émettait un mandat d’arrestation contre Keramuddin Karim. Cependant, pour l’heure l’accusé n’a toujours pas été arrêté tandis que la plupart des plaignantes auraient quitté l’Afghanistan après avoir reçu des menaces.

Les autres violences basées sur le genre

Dans le guide des types de violence basée sur le genre délivré par l’ONU pour cette campagne de 16 jours d’activisme, y figurent également la traite des êtres humains, les mutilations génitales et le mariage des enfants. Dans une large étude menée en par IOM en 2008, « les femmes victimes de la traite à des fins de prostitution forcée sont actuellement criminalisées et emprisonnées. Les victimes doivent être exemptées de poursuites et d’emprisonnement. Une protection appropriée doit être accordée aux victimes afin qu’elles puissent coopérer avec les autorités chargées de l’application des lois pour les enquêtes et les procédures judiciaires. (Ministère de l’Intérieur, Bureau du Procureur Général, Organes Judiciaires) Les femmes victimes sont souvent incapables de demander l’assistance dont elles ont besoin, en raison de la stigmatisation sociale liée à l’exploitation sexuelle ».

Depuis, en septembre 2019, l’Afghanistan a rejoint l’initiative commune de l’ONUDC contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants. Ce GLO.ACT vise à protéger les victimes et les migrants vulnérables au trafic et mettre fin à l’impunité des trafiquants et passeurs qui bénéficient de l’exploitation des personnes les plus vulnérables.

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Quant au mariage des enfants, l’organisation Filles pas Épouses, déclare que 28% des filles afghanes sont mariées avant l’âge de 18 ans et que 4% l’étaient avant leur 15e anniversaire. L’Afghanistan a le 20e plus grand nombre absolu de femmes mariées ou en union avant l’âge de 18 ans au monde. La majorité des grossesses chez les adolescentes se produit dans le cadre du mariage. Alors que la procréation peut avoir lieu juste après le mariage, les filles peuvent être mariées pour éviter la stigmatisation sociale des relations sexuelles prénuptiales et de l’accouchement hors mariage.

Cependant, l’Afghanistan s’est engagé à éliminer les mariages précoces et forcés d’enfants d’ici 2030, conformément à la cible 5.3 des objectifs de développement durable. Lors de son examen national volontaire lors du Forum politique de haut niveau de 2017, le gouvernement a souligné qu’il s’efforçait de réduire le nombre de filles qui se marient avant l’âge légal à 10% d’ici 2030. L’Afghanistan a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant en 1994, qui fixe l’âge minimum du mariage à 18 ans.

Il n’existe pas de données sur les mutilations génitales en Afghanistan.

 

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